C'était il y a plus de soixante ans maintenant. Je me tenais là, debout dans cette pièce quasiment vide et je me demandais ce que mon père me voulait.
« Va m'attendre dans la pièce qui est vide au premier, Max. »À cette époque-là, j'étais encore une petite fille qui croyait en l'humanité. J'avais... Tellement foi en elle, comme les hommes du culte du Mur ont foi en celui-ci aujourd'hui. Mes yeux ne voulaient voir qu'un futur lointain qui puisse être beau, magnifique et éblouissant. Rien n'avait plus d'importance que cet espoir vain en réalité. Au fin fond de mon être de gamine stupide que j'étais, j'y croyais dur comme fer qu'un jour, la vie serait plus belle qu'elle ne l'était à ce moment-là. Les Titans avaient envahis ce monde, ils avaient réduits les hommes au simple statut de bétail se cachant derrière des murs. Nous n'étions rien de plus que des survivants, mais jusqu'à quand ? Mon père avait pour habitude, cependant, de me dire qu'un jour ce serait différent et naïve comme j'étais, je le croyais.
On peut dire que j'étais une gamine pleine de vie et emplit de rêves plus fous les uns que les autres. Tout simplement parce que mon paternel me bourrait le crâne de stupidité. Après tout, nous étions seuls tous les deux dans cette maison. Ma mère était morte peu de temps après ma naissance, une mort naturelle selon les médecins. Je n'ai jamais pu en savoir plus. Cependant, il semble que je lui ressemble plus que de raison, mon père voyant parfois en moi cette femme qu'il avait tant aimée et moi je ne comprenais pas ses mots, mais j'étais heureuse de le savoir. Si cette femme était si belle qu'il le disait, c'est que je devais l'être aussi.
Les enfants sont si simples à berner. En réalité, ses mots de vie meilleure n'étaient destinés qu'à ce moment précis. Cet instant où il a fait de moi un monstre capable de réduire l'humanité à néant.
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Je me tenais là, debout dans cette pièce quasiment vide et j'ai compris bien plus tard ce qu'il me voulait lorsqu'il est entré, une seringue à la main.
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À cette époque, je n'avais pas plus de dix ans. Pour tout dire, les souvenirs deviennent flous avec le temps, ce qui est superflus ne m'est plus utile après tout. Ce que j'étais avant n'est plus nécessaire pour ce que je suis aujourd'hui. J'ai scellé dans un coin de mon esprit cette gamine insupportable qui vient pourtant crier parfois pour me sommer d'arrêter. L'effort est surhumain pour moi à cet instant qui vous raconte tout cela. Je me dois d'être objective sur ce qui a été ma vie un jour pourtant.
Cette nuit-là, après que le soleil eut disparu au loin, derrière la montagne qui berçait notre village près du Mur Maria, j'ai pensé mourir. Même si mes souvenirs déjà à cette époque étaient vagues, j'avais la sensation d'être passée proche de la mort. Mes mains se serraient encore aux draps lorsque mes yeux rencontraient la lumière du Soleil qui se levait le jour suivant. Mes joues étaient humides d'avoir autant pleuré. À mes côtés se tenait mon père, dormant à moitié au sol, à moitié sur le lit. Sa main tenait fermement la mienne alors qu'il dormait encore à point fermé. Je n'ai jamais pu lui demander pourquoi. Jusqu'à quel point croyait-il que je pouvais l'endurer ? Ce monde est cruel et il le sait tout autant que moi, alors pourquoi …
Même avec tout l'amour que je lui portais, même avec toute la foi que j'avais en lui et l'humanité, je n'ai jamais pu me résoudre à lui pardonner, ni à ne pas avoir peur de lui. Dans un sens, on pourrait dire que j'en étais traumatisée peu importe que je me souvienne ou non clairement de cette nuit-là. Mes questions étaient tellement nombreuses, mais lorsqu'il avait ouvert les yeux pour me regarder le fixer, j'ai tressailli de peur. J'étais une gamine après tout et je pensais avoir vécu l'horreur de ma vie. J'étais si stupide.
Quand mon père a pleinement pris conscience que je le craignais, il n'a plus eu le choix que de m'élever de façon militaire, me faisant obéir par la peur que je ressentais à son égard. S'il m'avait expliqué correctement, peut-être cette enfant en moi aurait-elle pu lui pardonner. Mais un an plus tard j'ai compris ce qu'il m'avait fait.
Ce jour où je me suis blessé en m'entraînant, le sang coulant le long de mon doigt alors qu'il s'approchait pour m'aider. J'ai cru bêtement qu'il voulait peut-être me frapper et j'ai pris la résolution de le tuer. Une épaisse fumée se dégageait dans les airs alors que mon regard le voyait de bien plus haut que d'ordinaire. Pour ne pas vous mentir, je ne me souviens plus très bien non plus de cette première transformation. Et pour vous rassurer, non, je n'ai pas tué mon père. Néanmoins, j'ai fui. Tellement loin. Sans me retourner, j'ai fui, peut-être à la recherche de quelqu'un à tuer, mais je n'ai trouvé personne en chemin. Non, à la place, quelqu'un m'a vu. Il a vu ce titan de cinq mètre de haut courir dans les bois et la peur s'est naturellement répandue progressivement dans les alentours. La plupart ne le croyaient pas fort heureusement, mais ce ne fut pas le cas de tous.
À vrai dire, je ne sais pas comment ils ont compris que c'était moi. Peut-être que les humains sont plus intelligents qu'ils n'en ont l'air. Non, même si vous vous demandez, je ne suis plus humaine, plus depuis ce jour.
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La nuit s'avançait lentement sur notre maison quelque peu isolée des autres et du village. Par la peur qui me tiraillait de vivre entre ces murs avec cet homme qui se disait mon père, je me recroquevillais dans un coin de mon lit, j'avais onze ans. Ma première transformation restait un vague souvenir et la peur avait pris une nouvelle tournure. Je n'étais déjà plus la même petite fille. Et puis ces gens sont arrivés. Ils se disaient médecins où je ne sais quoi, mais leur badge laissait penser qu'ils étaient des brigades spéciales. J'ai entendu leur voix forte provenir d'en bas alors que je me suis levée malgré mon côté peureux. Je me suis dirigée en haut de l'escalier et leurs yeux se sont posés sur moi. J'ai eu peur à nouveau.
En ce temps-là, j'avais peur de tout.
Ils ont poussé mon père, l'ont écarté de leur chemin avant de grimper rapidement pour m'attraper par le bras, me mettant des menottes. Je n'ai pas compris ce qui m'arrivait pour tout dire. Ma voix était trop faible pour que mes plaintes ne se fassent entendre, mais lorsque je me suis retrouvée dehors, mon regard en larmes s'est posé sur mon paternel qui me regardait, impuissant. Cet homme m'a abandonnée et je ne lui pardonnerais jamais. En voyant son regard, j'ai commencé à comprendre combien l'humanité est une abomination, combien leur vie ne vaut rien, que seul leur propre survit compte.
Je me débarrasse de mon voisin sans sourciller si cela me permet de survivre. Je donne ma fille en sacrifice si cela me permet de vivre tranquillement. Je le hais.
J'ai été conduit dans un bâtiment à en faire trembler les morts eux-mêmes. Ils ont effrité ma foi en l'humanité, lentement, doucement. Ils ont anéanti mes espoirs d'un monde meilleur. Ils ont contribué à ce que je suis aujourd'hui, alors ne vous plaignez pas chez moi, vous êtes coupables. L'humanité doit payer pour ses péchés.
La petite fille que j'étais a compris que l'assemblée qui se tenait devant elle était un peu comme un jugement de sa personne. Ils me jugeaient. Leur mot se bousculait à l'intérieur de moi, de mon esprit. J'entendais dissection, élimination, que tout ceci ne devait jamais se savoir, que ce n'était pas officiel. Ils agissaient en dehors de leur attribution ou alors ils prétendaient être ce qu'ils n'étaient réellement pas en réalité. Je n'ai jamais su si ces hommes étaient réellement de l'armée ou bien s'ils étaient simplement des justiciers masqués ou une connerie dans le genre. Je n'ai jamais compris pourquoi ils m'avaient fait cela.
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Vous vous demandez ce que je suis devenue ? Ils ont essayé de me disséquer comme un vulgaire animal. Mes yeux étaient embrumés par mes larmes qui ne voulaient pas s'arrêter. J'ai senti la lame plonger dans mon thorax pour l'ouvrir en deux alors que j'essayais en vain de crier. Mes pensées sont devenues désordonnées, mais au moment même où je me suis dit qu'il fallait que je les tue tous, je me suis transformée à nouveau. Ils ont causé leur propre perte. Ne pas endormir un monstre est une erreur grave.
Après cela, je n'ai jamais quitté ma transformation. Je l'ai gardée un bon moment, sombrant, devenant un vulgaire titan lambda qui bouffait les gens. Je ne faisais plus partie des murs et je n'ai jamais compris pourquoi. Mes souvenirs sont vagues, flous. Est-ce que nous étions dans un bâtiment en dehors dès le début où ai-je trouvé le moyen d'en sortir pour une fausse liberté ? Je n'en suis plus certaine pour dire vrai.
Je n'ai repris forme humaine que bien plus tard. Longtemps, je me suis laissé porter par cette vague titanesque en moi, j'ai erré en dehors des murs cinquante ans ou peut-être plus. Je n'en suis pas certaine, je ne connais pas mon âge exact à cause de cela. Seulement, j'ai fini par reprendre « vie ». Perdue dans les bois en dehors des murs, je n'ai pas compris ce qui m'arrivait. Je n'ai pas compris pourquoi je n'étais plus une petite fille. Peu à peu les souvenirs sont revenus à la surface et tout à commencer. Ma haine n'a fait que grandir face à l'humanité alors que j'ai maudis les hommes au fin fond de ma forêt. J'ai juré de tuer les hommes, tous jusqu'au dernier.
Je suis revenue en ville, il y a dix ans avec une haine sans nom, sans fond, sans forme. Profitant d'une exploration des bataillons pour me faufiler à l'intérieur. Comme pour bien commencer une vengeance qui n'en finirait jamais, j'ai attendu quatre ans afin de bien me préparer et reprendre mes marques dans ces murs et puis … J'ai rejoint l'armée. Faisant mes classes sans histoire, je me terrais dans un coin, me faisant parfois littéralement oublier. J'ai fini sixième de ma promotion, ne faisant aucune histoire. Vous vous doutez de mon choix de corps d'armée n'est-ce pas ? Il n'y a qu'un seul corps de l'armée que je dois détruire en premier. Tous jusqu'au dernier, les bataillons d'explorations doivent disparaître. Ils sont les plus aptes à nous causer du tort, à nous, les. Shifters. Les seuls véritablement capable de nous tuer. Tous les autres ne sont que des mauviettes.
Bien entendu, j'ai donc assisté à l'arrivée du Titan colossal, il y a cinq ans. Brisant le mur. Tout du moins, je le sais même si je n'étais pas là. Dans le fond, j'ai toujours su ne pas être la seule Shifter, mais je n'en avais jamais « rencontré ». Même si nous faisons partie d'un même groupe, ils sont des gêneurs à mes yeux. Le titan colossal, le Titan cuirassé et même le Titan féminin plus tard. Ils sont une gêne pour moi. Avec leur arrivée, ils ont bouleversé mes plans si longtemps étudiés et mis en place. J'ai tout fait pour m'intégrer ni vu ni connu dans les bataillons. Je n'ai jamais réalisé d'exploit hors normes pour que personne ne me remarque. Je ne suis qu'un nom sur une liste de soldats, rien de plus. Si je mourrais, personne ne se souviendrait de moi.
Je faisais ma vie et suivais les ordres. Durant les opérations extra-muros, je restais sagement à ma place. Parfois, je laissais mourir mes camarades à ma place, les regardant me supplier de les aider, tendant leur main vers moi. Les humains ne méritent pas mon pardon. Pourquoi devrais-je les sauver ? Ils m'ont réduit au simple mot « monstre » pourquoi diable devrais-je les aider maintenant ? En réalité, s'ils me foutent la paix, c'est parce qu'ils ne savent pas ce que je suis. Sinon, j'aurai très vite rejoint à nouveau la section dissection.
J'attendais de pouvoir tous les détruire d'un seul coup, de l'intérieur, mais ils ont tous foutu en l'air. Et puis … Le pire est arrivé. Eren. Jaëger. Ce gamin. Sa transformation en titan n'était pas un problème en soi, mais plus son jugement. Pourquoi ? Pourquoi ils ont donné le droit de vivre à ce gosse ? Pourquoi est-ce qu'il représente l'espoir de l'humanité ? Ce ne sont que des conneries ! Ils auraient dû le disséquer comme ils ont essayé de faire avec moi ! Il aurait dû mourir la gueule ouverte sur une table d'opération !
Je les déteste. Tous. L'humanité va périr, j'en fais le serment. Tous jusqu'au dernier. Je vais tous vous écraser. Vous faire payer. Je détruirais cet espoir qui vous fait avancer. Je vous tailladerai la chair. Et je boufferai vos corps éparpillés sous mes pieds. Vous allez tous mourir !!♫ Et au fond de moi, une voix continue de m'implorer de sauver l'humanité. Elle crie à en perdre haleine. « Ne tue pas ce que nous sommes, Maxance. » ♫
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* Si la brigade ont réussi à la trouver lorsqu'elle était jeune, c'est parce que l'homme qui a confié le sérum pour la transformée à son père, l'a vendu.
* Son jugement n'a jamais été divulgué parce qu'il est resté secret d'état.
* Elle a reprit le contrôle sur elle-même parce qu'un jour, parmi les cadavres humains que l'on voit parfois, il y a avait un homme qui ressemblait à son père. Bien que ce n'était pas lui, cela a éveillé la petite fille au fond d'elle.
* Pour rentrer dans les murs, elle a piquée un équipement et un uniforme à un mort ainsi que son cheval et s'est joint au bataillon aussi discrètement que possible.